(Frederic Edwin Church, Olana Catskill mountains from the home of the artist, 1871, Olana State Historic Site. )

À combien  un économiste chiffrerait cette vue ? Pas la peinture, imbécile ! mais la vue, la contrée, la pureté du ciel, les forêts, ceux qui y nichent…

Les économistes – sans doute pour justifier le rôle de leur discipline dans ce boxon – discutent de la meilleure manière de calculer les coûts économiques des désastres environnementaux… causés par le capitalisme, ce que la plupart oublient de préciser.

Et ils publient de brillants chiffres prouvant maintenant que ce coût pourrait dépasser  l’argent qui serait nécessaire de dépenser pour l’éviter. Ils ont progressé, il y a 30 ans il chantaient une autre musique : en 1993 un  futur prix Nobel d’économie estimait que 3°C en 2100 ne coûterait à l’économie américaine pas plus de 0,25% du PIB. Mais certains retardent encore :  Nordhaus (prix Nobel 2018) prétend qu’un réchauffement de +6°C ne détruirait que 10 % du PIB mondial, ce qui est du pur délire. Pour le détail sur ce sujet, lisez Climat : dernier avertissement de Mark Lynas (Au diable vauvert, 2022) qui explique qu’à déjà 5°C on assisterait à la disparition massive de la vie, et tous  les humains seraient réduits à l’état de réfugiés climatiques.

Mais il faut aller au-delà de leurs chiffres, car les coûts humains, ça ne rentre pas dans leur bécane ! Et c’est ce qui compte d’abord, sauf pour les robots qui nous dirigent. Qu’un calcul économique justifie la photo ci-dessous

ou celle-là

est une condamnation de ce calcul, de ceux qui le produisent et de ceux qui les payent pour cela. Là-dessus, lisez La contamination du monde, une histoire des pollutions à l’âge industriel, de François Jarrige et Thomas Le Roux. Dans mon article sur ce livre, vous trouverez les références de ces deux photos.

Si le monde devient inhumain, aucun calcul économique n’est plus justifiable. Les calculs économiques sont l’alpha et l’oméga du capitalisme, pas d’une vie véritablement humaine.

L’article qui suit donne un aperçu du vrai coût des choses :

3.20 – Le véritable coût du changement climatique

Eugene Linden / Journaliste et écrivain, son dernier livre sur le changement climatique s’intitule Fire and Flood, l’un de ses précédents ouvrages, The Wind of Change, a été récompensé par un Grantham Award.

Quel pourrait être le coût socio-économique du changement climatique ? Si nous poursuivons sur notre trajectoire actuelle jusqu’à atteindre un réchauffement de 3 °C par rapport aux niveaux préindustriels, le risque est tout bonnement de voir la civilisation disparaître. Ce sera une calamité mondiale marquée par un effondrement financier, une famine de masse, des migrations à grande échelle, ce qui précipitera de nombreux pays dans la guerre civile. Si les États avaient reconnu la gravité du risque dès le début des années 1990, cette perspective apocalyptique aurait pu inciter à agir pour contenir les émissions de gaz à effet de serre et éviter une catastrophe en puissance. Mais les premières projections des impacts socio-économiques du changement climatique étaient des sous-évaluations flagrantes qui confortaient les tenants de l’attentisme. (En 1993, un article influent d’un économiste qui devait par la suite remporter le prix Nobel estimait qu’un réchauffement de 3 °C à horizon 2100 ne coûterait à l’économie américaine pas plus de 0,25 % du PIB). Aujourd’hui, la réalité rattrape l’économie, et l’on comprend enfin que ce ne sont plus les contraintes de l’action climatique qui menacent le plus la prospérité de demain, mais le changement climatique lui-même.

À supposer même que nous prenions maintenant des mesures pour limiter le réchauffement à moins de 3 °C, le changement climatique n’en aura pas moins d’immenses conséquences. Il est difficile de prévoir ce qu’il en coûtera, surtout parce que par leur nature même, les seuils et les points de bascule du changement climatique peuvent augmenter de plusieurs ordres de grandeur les dégâts induits. L’ouragan Sandy a illustré de façon saisissante l’importance des seuils en provoquant dans le métro de New York des inondations telles que l’on n’en avait plus vu depuis cent vingt-cinq ans, dont le coût a été chiffré à 5 milliards de dollars. Si la combinaison de l’onde de tempête, de la grande marée et de l’élévation du niveau de la mer n’avait été inférieure que de 15 %, les dégâts auraient été négligeables.

Le problème des points de bascule est encore plus sérieux, tant il interdit de prédire avec quelque degré de certitude l’ampleur des dégâts à venir. Par exemple, l’accélération de la fonte du pergélisol dans le Grand Nord pourrait libérer de grandes quantités de gaz à effet de serre, entraînant une inexorable boucle de rétroaction de réchauffement, qui aboutirait à des niveaux de réchauffement largement supérieurs aux prévisions les plus pessimistes issues des modèles climatiques. Inversement, un apport massif d’eau douce dans l’Atlantique Nord pourrait arrêter la circulation du système de courants qui maintient des températures clémentes dans une grande partie de l’Europe. Nous ignorons à quel moment ces points de bascule pourraient être franchis, mais nous savons qu’une fois franchis ils seront irréversibles dans un laps de temps significatif pour les sociétés humaines.

Il convient en outre de prendre en compte les impacts indirects d’un climat plus chaud. Dans l’Ouest américain, les hausses de température ont entraîné une prolifération spectaculaire des populations de scolytes, qui s’est traduite par une forte mortalité des conifères auxquels ils s’attaquent. Ces arbres morts ont fourni un combustible tout trouvé pour attiser les incendies de forêt qui ont ravagé toute la région, renforcés par un taux d’humidité très faible, des températures élevées et l’intensification des vents secs caractéristiques des paysages en voie de réchauffement et d’assèchement. Cette association d’impacts directs et indirects se répercute sur les sociétés humaines, avec des résultats imprévisibles.

Au Moyen-Orient par exemple, l’un des corollaires des pressions migratoires a fait que les températures extrêmes ont rendu inhabitables des régions entières d’Iran, de Syrie, d’Irak et d’autres pays. Ces migrations forcées alimentent l’instabilité intérieure, qui se propage à l’international : comme nous l’avons vu ces dernières années, l’afflux massif de réfugiés en Europe s’est heurté à la résistance et à la xénophobie dus à la montée en puissance des dirigeants populistes et autoritaires.

Certaines des possibilités sont tout simplement inimaginables. Plusieurs milliards de personnes dépendent de céréales cultivées dans quelques « greniers à céréales », des régions qui bénéficient toutes de régimes de température et de précipitations parfaitement adaptés et relativement stables depuis des millénaires. Or, le GIEC estime qu’à 2 °C de réchauffement, les rendements mondiaux de maïs diminueront de 5 %. À mesure que les températures augmentent, les régimes de précipitations changent, le sol s’assèche plus rapidement et il arrive un moment où les cultures de base ne poussent plus du tout — c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pas de grenier à céréales sous les tropiques.

Tous ces impacts interagissent de manière imprévisible et font qu’il est extrêmement difficile de prédire exactement le coût économique des dégâts associés à tel ou tel degré de réchauffement.

Certains tentent toutefois de relever le défi.

En 2021, Moody Analytics chiffrait à 69 000 milliards de dollars l’impact sur l’économie mondiale d’un réchauffement de 2 °C. Une étude menée conjointement par Oxfam et Swiss Re estimait pour sa part qu’un réchauffement de 2,6 °C à horizon 2050 aurait un coût économique trois fois supérieur à celui de la pandémie de Covid-19. Mais contrairement à celle-ci, les conséquences économiques du réchauffement ne feront que s’aggraver année après année. Avec 3 °C supplémentaires, la planète redeviendrait telle qu’elle était avant l’apparition de l’espèce humaine. Elle accueillait certes alors beaucoup de formes de vie, mais pas d’humains. En tout état de cause, il est évident qu’un monde pareil ne pourrait pas faire vivre 7,8 milliards de personnes.

Le monde pourrait bien connaître une crise financière mondiale liée au climat bien avant que la hausse des températures n’atteigne 3 °C, ou même 2 °C. En fait, les dommages économiques dus au changement climatique se chiffrent peut-être déjà en billions de dollars. Selon le groupe britannique d’assurances Aon, le monde a essuyé 1,8 billion de dollars de pertes liées aux intempéries au cours des dix premières années du XXI’ siècle. Entre 2010 et 2020, ce chiffre est passé à 3 billions de dollars. Les incendies de forêt qui ont récemment dévasté l’Ouest américain ainsi que les inondations et les ouragans qui ont déferlé sur la côte Est nous ont donné un aperçu de ce que nous réserverait une crise financière climatique, même dans un pays riche.

Le scénario serait le suivant : avec la multiplication des inondations et des incendies, l’intensification et la fréquence accrue des tempêtes, et la hausse des températures, les particuliers et les entreprises verront flamber leurs primes d’assurance couvrant les risques de catastrophe naturelle. Les assureurs refuseront autant qu’ils le pourront de couvrir les zones les plus à risque. Or, sans ce type d’assurance, les acheteurs immobiliers ne pourront pas obtenir de prêt hypothécaire, tandis que dans les zones à risques d’incendie et d’inondation, où les primes d’assurance auront grimpé en flèche, de nombreux propriétaires essaieront de vendre — mais à qui, et qui financera l’achat ? Cette dynamique ouvrirait la voie à une vague de ventes précipitées et à un effondrement de l’immobilier plus grave que la crise de 2008, car il ne s’agirait pas d’un événement ponctuel. Or, comme nous l’avons vu en 2008, une crise de l’immobilier peut rapidement dégénérer en crise financière systémique, puisque les banques détiennent l’essentiel de la valeur, et donc du risque de l’immobilier résidentiel et commercial.

Notre économie mondiale est un système étroitement couplé — comme nous l’ont appris la crise de 2008 et, plus récemment, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement liées à la pandémie de Covid-19. Dans des rouages si finement réglés, le moindre grain de sable peut avoir des répercussions dévastatrices. Les perturbations liées au changement climatique n’ont rien d’anodin et sont appelées à s’aggraver progressivement. Le message que nous devons faire passer aux déci-deurs, aux politiciens et à l’opinion est qu’il faut à tout prix enrayer le changement climatique, car son coût final dépasse l’imagination et est incalculable.

Cet article aussi est tiré de cet ouvrage :

Le grand livre du climat

un ouvrage qui reste précis, clair et complet, coordonné par Greta Thunberg, paru en anglais en 2022 et qui vient d’être traduit chez KERO (Calmann Levy).