Coyote et son petit-fils Faucon avaient maintenant du feu, mais il faisait toujours noir sur toute la terre. Chef Faucon recommença à grommeler.

« Grand-père, Grand-père, pourquoi n’avons-nous pas de soleil. Je veux du soleil, je veux du soleil.

— Oui, oui, j’entends bien, mais où me le procurer ?

— Oh ! tu le sais, tu sais tout, Grand-père, tu sais même comment c’était avant la destruction du monde. Tu peux trouver le soleil si tu le veux.

— Bon, bon, je vais aller voir tes cousins les Pigeons. Ils nous aideront peut-être. »

Le lendemain, Coyote-le-Vieux se mit donc en route et, Tono-no-nonno-nono, il se dirigea vers le sud. Il arriva chez les Frères Pigeons et appela

: « Ohé ! Ohé ! »

Un des Pigeons répondit de l’intérieur :

« Eh bien ! la porte est sous le poivrier. Tu ne la vois donc pas ? Il faut que tu sois aveugle ! »

L’autre Pigeon gronda son frère :

« Qu’est-ce qui te prend ? Tu n’as donc pas de manières ? Et pourquoi es-tu furieux ? Et si, quand tu te mets en colère comme ça, si tu tombais sur Quelqu’un qui soit Quelqu’un, un chef de tribu, par exemple ? Et toi qui te conduis comme un sot ! Tiens ! regarde : justement c’est notre Grand-père Coyote. Il faut qu’il se passe quelque chose pour que Grand-père Coyote se déplace si loin de chez lui. Entrez, Grand-père, entrez. Et qu’est-ce qui vous amène ? »

Coyote-le-Vieux entra et s’assit. Il commença par rester silencieux. Puis il sortit quatre sacs de perles et les posa par terre devant lui. Puis il prit deux sacs et les posa par terre devant un des Pigeons. Puis il prit deux autres sacs et les posa par terre devant l’autre Pigeon. Enfin, il dit.

« Eh bien ! je suis venu parce que votre cousin veut du soleil. Il grogne tout le temps. Il n’aime pas les ténèbres. Alors, voilà ce que je vous demande à vous deux : allez me chercher le soleil… si vous pouvez.

— Très bien, Grand-père, très bien. Nous croyons pouvoir l’obtenir pour vous. Bon, parfait, nous partirons dès demain matin.

— Oui, Grand-père, soyez tranquille. Nous passerons par chez vous à l’aller. Vous pouvez compter sur nous. Oui, nous irons vous chercher le soleil. Oui, parfaitement.

— Excellent, » dit Coyote et Tononononononono, il rentra à la maison.

Les Pigeons arrivèrent le lendemain matin.

« Eh bien ! Grand-père, nous voici, que voulais-tu donc de nous ?

— Que vous me rapportiez le soleil. Il faut que la terre soit tout le temps ensoleillée, qu’il fasse clair sans arrêt. C’est le désir du Chef.

— Bon, bon, parfait, c’est facile. Partons tout de suite ! »

Ils se mirent en route vers le sud, vers la demeure du Soleil. Il vivait tout seul dans sa hutte située au sommet d’une colline. Grand-père Coyote et les deux Pigeons s’arrêtèrent à quelque distance et appelèrent. Ils appelèrent à plusieurs reprises, mais le soleil ne voulait pas sortir.

« Qu’allez-vous faire maintenant ? interrogea Coyote. Comment le ferez-vous sortir ? »

Un des Pigeons dit à l’autre :

« Essaye, toi.

— Non, essaye toi-même. C’est à toi de le faire.

— Non, c’est à toi d’essayer. Allez, essaye de toute façon. Tu n’y arriveras pas parce que tu es trop jeune, mais tu peux toujours essayer. Alors, je te montrerai comment il faut s’y prendre.

— Toi ? Et pourquoi toi ? Tu es trop vieux d’abord. Quoi, tu es déjà un vieillard. Tu n’y vois même pas, alors comment veux-tu y arriver ? Regarde-moi, je suis jeune, j’ai bon pied, bon œil.

— Eh bien ! vas-y et ne parle pas tant. Regarde-le, Grand-père, et n’aie pas peur.

— Oh ! je n’ai pas peur », affirma Coyote-le-Vieux. Le jeune Pigeon prit sa fronde, il y ajusta une pierre et puis, paraît-il, il chanta quatre fois de suite :

Shunnera Shunnera hu he kaa…

Puis il fit tournoyer la fronde au-dessus de sa tête et tira. La pierre partit droit vers l’est et vint frapper la hutte du soleil. Celui-ci bondit dans les airs en passant par le trou de fumée. Il resta suspendu sur place un moment, puis retomba à l’intérieur.

« Tiens, tiens, tiens, dit Coyote-le-Vieux.

— Qu’est-ce que je vous disais, jubila l’aîné des Pigeons. Alors, frère, tu vois bien. Je te l’avais bien dit. Maintenant, regarde-moi. »

Il commença son chant. Il fit tournoyer la fronde et tira. La pierre fila, fila et entra chez le soleil en traversant le mur en plein milieu de la hutte. Le soleil bondit par le trou de fumée droit dans le ciel et, là, il arrêta !

« Tiens, tiens, tiens ! » s’écria Coyote-le-Vieux.

Le lendemain soir, Coyote-le-Vieux continua son histoire.

Maintenant, ils avaient du feu, et le soleil brillait sur toute la terre, mais Chef Faucon n’était pas encore content. Il errait çà et là en grommelant.

« Eh bien ! qu’y a-t-il encore ? interrogea Coyote, son Grand-père.

— Grand-père, pourquoi n’y a-t-il personne sur la terre ? Je veux des gens sur la terre. »

Cette fois-ci, Coyote-le-Vieux se mit en colère.

« Très bien, et puis il ne nous restera plus qu’à nous en aller ! »

Il sculpta des petits bâtons de chêne pour en faire des gens, mais il n’obtint aucun résultat.

Alors, il essaya avec du pin.

« Vivez ! » ordonna-t-il, mais il n’obtint aucun résultat.

Il essaya toutes sortes d’essences d’arbres, mais sans obtenir aucun résultat.

Coyote était furieux. Il cria :

« Quand les puces vous mordront, vous vivrez ! »

Les puces les piquèrent, mais cela ne les éveilla pas.

Alors Coyote-le-Vieux se mit au travail. Il prit des bâtons de marronnier rouge et sculpta toutes sortes de gens. Il leur fit subir des traitements magiques dans sa hutte-à-magie, puis il les répartit un peu partout. Il les planta par terre au sud et au nord, il les planta par terre à l’est et à l’ouest. Après quoi il coupa du coton sauvage en tout petits morceaux et en parsema les bâtons en criant :

« Demain matin, ils parleront. »

Le lendemain matin, tous parlaient et se promenaient à l’intérieur de la hutte-à-magie.

« Les puces nous ont presque dévorés hier soir », disaient-ils.

Coyote entra pour leur parler.

« Je veux vous parler à tous, dit-il, et vous révéler qui vous êtes. Ceux qui vivent à l’ouest porteront ce nom-là. Ceux qui vivent au sud parleront une langue différente. Ceux qui vivent à l’est auront une langue à eux. Et ceux qui vivent au nord ne parleront pas comme les autres. Les quatre parties du monde seront désormais peuplées.

— Les puces nous ont presque dévorés hier soir, dirent-ils.

— Bonjour, bonjour, répondit Coyote. Et, maintenant, écoutez-moi. Je ne vous parle pas de puces. Je m’adresse à vous tous et j’ai quelque chose à vous dire. Je vais vous instruire. Quand ce sera fini — dans quatre jours, — je m’en irai. Mon petit-fils ne se plaît pas ici.

— Très bien », répondirent-ils.

Le lendemain matin, ils se levèrent et commencèrent à danser. Ils dansèrent pendant quatre jours. Ils parlaient des langues différentes et ne se comprenaient pas.

Alors Coyote s’adressa à eux.

« Quand vous mourrez, vous devrez vous rendre dans mon pays, quatre jours après votre mort. Les vivants n’y auront pas accès. Seulement les morts. »

Alors, il se mit au travail et créa toutes choses comme elles devaient l’être. Il dit au pin : « Sois pin » et au chêne : « Sois chêne ». Au geai, il dit : « Tu es le Geai » et au canard : « Tu es le Canard ». De même, il dit : « Tu es le Daim » et « Tu es la Poule ». Ainsi créa-t-il toutes choses.

Puis il appela sa femme, la Reine des Pélicans.

« Vieille, hâte-toi de ramasser tes affaires dans tes corbeilles. Nous partons.

— Bien », dit la Reine des Pélicans.

S’adressant de nouveau aux créatures, il leur dit :

« Vous avez tous entendu mes paroles. Ne les oubliez pas. Quand vous mourrez, vous devrez vous rendre dans mon pays de l’ouest. A l’ouest, par-delà les océans. C’est là que je serai. »

Chef Faucon voulait rester là, mais le vieillard le morigéna :

« Ah tu voulais des gens, n’est-ce pas ? Maintenant, nous sommes obligés de partir. Viens. »

Et voilà comment ils partirent. Ils partirent. Ils se dirigèrent vers l’ouest par-delà les océans… C’est là qu’ils habitent, et l’histoire est finie…

C’était un nouvel extrait d’Une famille de chasseurs indiens, Jaime de Angulo, Stock, 1956, traduction de Indian Tales par Lola Tranec. Aussi publié en 1994 aux éditions du Rocher.

L’histoire de Grand-Père Coyote est finie, mais pas l’histoire du p’tit gars Renard et de sa famille, et bientôt elle va s’agrandir.

De Jaime de Angulo, vous pouvez lire en traduction le lasso et autres écrits et indiens en bleu de travail récemment publiés aux éditions Héros-limites.

Illustration : Frederic Church, twilight in the wilderness, 1860 Cleveland Museum of Art