Le lendemain matin, au moment où ils se préparaient à partir, le Chef Silex, qui s’était pris d’affection pour Renard, lui donna un petit sac en daim pour pendre à sa ceinture. Ce sac contenait des pointes de flèches en silex volcanique, de superbes pointes semblables à du verre fumé, bien taillées des deux côtés avec des bords parfaitement droits.

« Tiens, mon petit, voici un cadeau de la tribu du Silex. Ces morceaux de silex seront tes amulettes, tes dinihowi. Si jamais il t’arrive un malheur, tire-les du sac, agite-les dans ta main et écoute leur conseil. Ils te sortiront d’affaire. Mais ne va jamais chez Furet, il est mauvais. C’est lui qui a incendié la terre, il y a de cela bien, bien longtemps. Au revoir, Madame Antilope, Monsieur Ours. Au revoir, Bébé Caille. Bon voyage. Nous jouerons de nouveau aux osselets quand vous viendrez par ici. »

Alors Antilope mit le berceau sur son dos, et Ours mit son paquetage de provisions sur ses épaules. Il portait son arc à la main et ses flèches dans un carquois sur son dos. Gars Renard portait également son arc et, pendu à sa ceinture, le petit sac en peau de daim contenant les silex.

Tras… tras… tras… sur la piste qui monte… tras… tras… tras… sur la piste qui descend, tras… tras… tras… sur la piste qui va tout à plat. Toute la matinée, ils marchèrent. Enfin ils arrivèrent devant une rivière. Ours y entra le premier pour en mesurer la profondeur. L’eau ne lui venait qu’aux genoux. Antilope traversa à son tour, puis ils appelèrent Renard pour qu’il enlève ses mocassins et se dépêche de traverser aussi. Mais à ce moment précis il eut une crise aiguë de grogne. Il bondissait sur place et tapait du pied.

« Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! » criait-il à tue-tête.

C’était vraiment une grave crise de grogne.

« Eh bien ! reste là, lui crièrent ses parents. Nous continuons. »

Quand il les vit disparaître derrière le talus, Petit Renard se dépêcha de traverser. Il bondit sur la piste à toute vitesse… si vite qu’il ne baissa même pas le nez sur les traces de ses parents. Il ne tarda pas à perdre la piste… puis il la retrouva, mais ce n’était peut-être pas la bonne. Alors, il retourna un peu sur ses pas, et il perdit la piste de nouveau. Maintenant, il était complètement égaré. Il se mit à courir. Il courait, courait de toutes ses forces, et sa queue volait derrière lui. A bout de souffle, il s’arrêta au sommet d’une crête, et son cœur battait la chamade. Il commença à pleurnicher, puis il gémit : « Si seulement je pouvais guérir de cette grogne ». C’est alors qu’il se rappela les morceaux de silex qu’il portait dans le petit sac. Il les sortit, les agita dans ses mains fermées et les mit à son oreille.

« Oh ! mes petits silex, aidez-moi. Où sommes-nous ?»

Les silex répondirent :

« D’ici, nous ne voyons rien. Lance un de nous en l’air.

— Mais comment ?

— Oh ! c’est facile, attache-le à la pointe d’une flèche. »

Gars Renard prit un des morceaux de silex ; il l’attacha à la pointe d’une flèche ; il mit la flèche dans son arc ; il tendit son arc, il visa droit en l’air et tira. La flèche monta tout en haut, tout en haut, puis elle redescendit.

« Mon silex, les as-tu vus ?

— Oui, ils ne sont pas loin. Je les ai vus franchir une colline là-bas à l’ouest, mais dépêche-toi, car le soleil baisse à l’horizon et j’ai vu un chasseur derrière une autre colline. Ce doit être Furet. »

Gars Renard ramassa son arc et ses flèches et il fonça sur la pente, sa queue étalée derrière lui. Il montait les collines en courant, et en courant il les descendait.

« Attendez-moi ! Attendez-moi !

— Tu nous demandes toujours d’attendre pendant que tu as ta grogne. Ça ne s’est jamais vu que pendant un voyage on attende quelqu’un qui a la grogne. Nous ne t’attendrons plus. »

Antilope était déjà en train de monter le camp. Ils firent du feu. Après le dîner, ils s’installèrent par terre pour dormir. Ours souhaita une bonne nuit à tous les habitants de l’endroit : les arbres, l’herbe, le sol et les oiseaux qui vivent dans les branches et les grillons et toutes les créatures nocturnes. Renard se glissa au lit entre ses parents.

Le lendemain matin, Antilope lui donna un conseil :

« Chante pour ton ombre. Elle en aura besoin dans ce brouillard. »

Le brouillard était si dense qu’ils voyaient à peine Ours, à dix pas d’eux, en train d’allumer le feu. Frissonnant, il grommelait à voix basse.

« Où allons-nous aujourd’hui ? » interrogea Renard.

Ours répondit : « Comment le saurais-je ? Comment pourrait-on savoir où on va, avec un brouillard pareil ?

— Oh ! oh ! oh ! c’est Papa qui a la grogne, ce matin ! Et si je demandais à mes silex ? »

Petit Renard secoua son sac.

Brouillard à l’est,

Brouillard au nord,

Brouillard à l’ouest,

Brouillard au sud,

Un bon silex va tout droit.

Voilà ce que les silex chantaient dans son sac.

« Qu’est-ce que ça veut dire, Papa ?

— Je ne sais pas, demande à ta mère.

— Lance un silex, mon petit, tire une flèche.

— Oh ! j’ai perdu mon arc ! »

Petit Renard éclata en sanglots.

« Tu n’aurais pas dû le poser n’importe où par terre. Tant pis, tu ne le retrouveras pas dans ce brouillard. Prends celui de ton père. Je t’aiderai à le bander. Et ne pleure pas, mon petit. Un jour, quand ton père sera de bonne humeur, nous lui demanderons de te tailler une lance. Cela prend beaucoup de temps de faire un arc. »

Quand il entendit la flèche siffler à ses oreilles, Ours sursauta, et il faillit tomber dans le feu ; mais il ne dit mot ; il se contenta de surveiller la direction de la flèche et il fit une marque sur le sol.

Maintenant voilà qu’ils finissent leur petit déjeuner. Maintenant ils lèvent le camp. Maintenant ils s’en vont dans la direction qu’avait prise la flèche. Tras… tras… tras… sur la piste qui monte, tras…tras… tras… sur la piste qui descend, tras… tras… tras… ils marchent toute la matinée. Ours avec son paquetage, Antilope avec Bébé Caille dans son berceau, Gars Renard avec la lance que son père lui a faite.

« Pourquoi sommes-nous partis si tôt ?

— Parce que nous avons beaucoup de chemin à parcourir.

— Irons-nous au village de Coyote ?

— Coyote n’a pas de village. C’est un très vieil homme. Il vit tout seul.

— Maman, allons-nous vers l’ouest ?

— Oui, oui, nous allons vers l’ouest, vers l’ouest. Marche toujours.

— Papa, allons-nous vers l’ouest ?

— Nous allons vers l’ouest, vers l’ouest. Marche toujours.

— Sœurette, petite sœur, allons-nous vers l’ouest ? »

Mais elle ne répondit pas ; elle riait dans son berceau.

Suite de Une famille de chasseurs indiens, Jaime de Angulo, Stock, 1956, traduction de Indian Tales par Lola Tranec. Aussi publié en 1994 aux éditions du Rocher. Les illustrations sont de l’auteur.

De Jaime de Angulo, vous pouvez lire en traduction le lasso et autres écrits et indiens en bleu de travail récemment publiés aux éditions Héros-limites.

Illustration : peinture d’Olivia.